08.10.2019
Conférence Témoignages

Patrick Desjardins : le comportement génère le comportement

6 min à lire

A l’occasion de l’édition 2019 de son colloque annuel Cultures Services, l’Académie du Service a choisi d’aborder “Les défis de la Symétrie des Attentions et les outils et solutions pour manager la transformation”. Au programme de cette journée riche en enseignements, des témoignages inspirants suivis de nombreux ateliers, ainsi que l’annonce du nouveau Label Symétrie des Attentions initié par l’Académie du Service.

Pour cette 13ème édition, l’Académie du Service a invité des speakers passionnés par leur métier et inspirés par “Les défis de la Symétrie des Attentions pour manager la transformation”. Retour sur le premier temps forts avec l’intervention de Patrick Desjardins, ex-officier de l’armée de l’air, devenu coach.

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Pour ouvrir la matinée du colloque Cultures Services, l’Académie du Service a invité Patrick Desjardins, officier de l’Armée de l’air française pendant plus de 40 ans, devenu coach aujourd’hui. Dès son arrivée sur scène, un malaise se fait sentir dans la salle : sa voix ainsi que son discours sont hésitants. Surprenant pour quelqu’un qui doit animer 30 minutes inspirationnelles en préambule de cette matinée…

Rapidement, Patrick Desjardins reprend le contrôle, s’avance et demande à l’audience de réfléchir à ce qu’elle a pu ressentir pendant cette minute de flottement. “Certains ont peut-être ressenti un mal être, d’autres de la compassion, ce qui au passage est plutôt sympa pour moi. D’autres encore ont peut-être ressenti de l’énervement en imaginant que lors de ce moment inspirationnel, on allait leur passer des slides pendant 30 minutes.”

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Donner l’envie

Cette démonstration a eu pour but d’illustrer le fait que le comportement génère le comportement et que la Symétrie des Attentions pose la question de la relation à l’autre. “La qualité de la relation client dépend de la qualité de la relation des collaborateurs au sein de l’entreprise, de la qualité de la relation entre les collaborateurs et les managers, mais aussi et surtout de la relation du manager à lui-même. Et c’est sur cette femme ou cet homme placé au centre de tout, que revient la mission d’inspirer, de créer, de bâtir, de fédérer et de donner l’envie. Est ce qu’en tant que manager, vous vous êtes demandés si vous donniez l’envie ? Si oui, comment le savez-vous ? Si non, comment le savez-vous ?

Il y a un homme que j’admire beaucoup ; il s’appelle Georges Prêtre, c’était un chef d’orchestre qui a dirigé de nombreux orchestres à l’international. Quand on lui demandait : qu’est ce qu’un bon chef d’orchestre ? Il répondait, bon, je ne sais pas, mais le mot chef me dérange. Quand j’arrive sur le podium, je suis là pour être un interprète comme le violoniste ou le pianiste. Mais pour faire jouer l’orchestre en harmonie et selon mon interprétation de la partition, c’est de l’humain et c’est donc particulièrement complexe.”

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Se connaître

Après le visionnage d’une vidéo de Georges Prêtre et de son orchestre jouant un mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven, Patrick Desjardins poursuit : “ Symbiose, lâcher prise, recul, douce puissance du geste, une proximité pas loin de la complicité, une capacité à établir la relation à ses musiciens, car il a lui-même la capacité d’établir la relation à soi. Se connaître. Nous connaissons-nous vraiment ? Sommes-nous alignés ? Cet alignement tête, coeur, corps. Cette capacité à donner du sens à ce que l’on fait. Se connaître, c’est connaître ses valeurs, pas celles que vous souhaitez avoir, mais celles que vous avez vraiment. Savez-vous évaluer vos forces et vos vulnérabilités ? Et comment faire en sorte que ces vulnérabilités deviennent des forces ? Vous honorez-vous à la hauteur de la grandeur de la personne que vous êtes ? Vous savez, les personnes qui travaillent avec vous préfèrent travailler avec une personne qui prend soin d’elle, car quand on ne prend pas soin de soi, on ne peut pas prendre soin des autres.”

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Accepter de bouger soi-même pour transformer

Patrick Desjardins partage ensuite une expérience qu’il a vécue lors de sa carrière. “A l’époque, je commandais l’ensemble des forces de sécurité de l’armée de l’air sur la base de Dijon. J’avais un état major de 160 personnes et je devais préparer mon rapport annuel pour le présenter devant le comité exécutif. Après trois semaines de travail avec mes collaborateurs, on m’appelle pour m’annoncer une triste nouvelle : un sous-officier s’est donné la mort avec son arme de service. Accusant le coup, j’ai appelé un colonel, l’un de mes collègues et ami, pour lui demander d’aller directement sur la base où cela s’était passé et de me rappeler ensuite. Le lendemain matin, j’étais sur la route pour présenter mon rapport ; je savais que j’étais une cible visée parce que nous étions en pleine révision des politiques publiques ; j’avais 10% des effectifs en CDD. Lorsque je l’ai au téléphone, j’ai senti à sa voix qu’il ne me disait pas tout. Il m’informe qu’une rumeur se diffuse dans tout le commandement : le chef préfère passer ses slides devant le chef d’état major de l’armée de l’air plutôt que de s’occuper de nous. J’ai reçu comme un coup de couteau.

Je l’ai ressenti comme cela, car j’ai trois valeurs importantes. Tout d’abord, l’amour de ce que je fais, de l’autre. On ne peut pas diriger des femmes et des hommes sans les aimer, et le responsable est avant tout au service de l’autre et doit faire grandir les autres. Ma deuxième valeur est la reconnaissance ; de ce qui est fait, mais aussi le besoin d’être reconnu et considéré. La troisième est l’exemplarité : être là où il faut au moment où il le faut ; et ne pas exiger des autres ce que l’on ne peut pas exiger de soi-même. Qu’est ce que j’avais fait pour me planter de cette façon et ne pas voir l’essentiel ? Comme avais-je pu manquer de discernement ? Simplement, je n’avais pas vu que je n’étais pas aligné, en accord avec moi-même. Peut-être parce que j’étais fatigué et sous pression. Le manque de discernement génère le comportement ; le comportement génère le comportement. Et c’est encore plus vrai lorsque l’on parle de transformation. Vouloir transformer une organisation est possible, mais à condition d’accepter de bouger soi-même.

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Désapprendre sans oublier

Ma carrière professionnelle pendant plus de 40 ans a été centrée sur l’action et la décision. Lorsque j’ai quitté l’institution militaire, j’ai souhaité rester en activité et me suis lancé dans le partage au travers de l’enseignement et de la formation. Et j’ai découvert un univers professionnel qui m’attirait : le coaching. Avec le bagage que j’avais, comment pouvais-je faire ? La posture de coach est extrêmement différente de celle de l’officier. L’officier commande, dirige, suggère, contrôle, évalue, embarque. Le coach quant à lui est centré sur le sujet : il accompagne, questionne ; l’objet n’est pas une finalité. Comment dans ce contexte, changer de paradigme ? Comment engager cette transformation ? J’ai regardé ce qui rapprochait les deux postures. Tout d’abord, l’intérêt pour l’autre et la disponibilité physique et mentale, la proximité et la cohésion, mais aussi la capacité à écouter, prendre soin de soi et l’attitude bienveillante.

Pour “reformater la machine”, j’ai décidé de me lancer dans un processus où j’ai pris le risque de désapprendre sans oublier. J’ai essayé d’apprivoiser mon prisme en lui ajoutant des ressources et des qualités. Le prix à payer était simple : accepter moi-même de me lancer dans un processus de renaissance et d’entrer dans un cursus de formation long et certifiant, à un âge où mon amour pour la pêche à la mouche et la photographie auraient dû m’emmener ailleurs ; on ne se refait pas.

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Le chemin plus important que l’objectif

Accepter par ailleurs d’être accompagné par un thérapeute pour la première fois de ma vie. Je ne vous dis pas ma réaction quand le premier jour de formation, on m’a demandé d’être suivi par un thérapeute ; je n’étais pas malade… J’ai bien changé de point de vue à ce sujet, je vous rassure. Il a fallu aussi accepter d’être supervisé et d’intégrer dans ma vie un référent. Comprendre que le chemin pour devenir coach est plus important que l’objectif. Accepter de se mettre à nu, aller à la découverte de soi. Alors, certes, vouloir n’est pas pouvoir, mais c’est un état d’esprit qui permet d’accueillir l’inattendu.

En résumé, il faut accepter de plonger dans quelque chose qui à la limite peut déranger, s’autoriser le risque de se perdre pour mieux se retrouver. Ai-je réussi ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais j’ai quelques indicateurs qui me permettent de porter une évaluation. C’est d’abord le plaisir de faire ce que je fais. Pas facile d’inviter le mot plaisir dans le business, et pourtant dieu sait si c’est essentiel. Mais il y a aussi le mot confiance. Une confiance qui permet d’oser, de faire bouger les choses et de se tourner vers de nouvelles aventures. Dès lors qu’on est prêt à faire ça, on s’autorise à donner du sens à sa vie, et ne me dites pas que tout le monde n’est pas en quête de sens. Je terminerai en citant Sénèque : “Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles.”

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